Beuvry (Pas-de-Calais) — Une rue, un python et beaucoup de sueurs froides
Il est un peu plus de huit heures, mardi 17 juin, quand les volets s’ouvrent place Saint-Éloi à Beuvry ; sur la chaussée, un long ruban sombre ondule lentement entre deux voitures en stationnement. Au début, Lucette D., 74 ans, croit d’abord à un tuyau d’arrosage oublié. Le « tuyau » lève la tête, sort une langue fourchue et poursuit son chemin. En quatre coups de fil affolés, les pompiers, la police municipale et un vétérinaire de garde convergent vers cette artère paisible d’une commune réputée pour ses jardins fleuris, pas pour ses reptiles tropicaux.
Un géant placide mais imprévu
Le sergent-chef Gauthier, qui dirige l’équipe d’intervention animalière du service départemental d’incendie et de secours, identifie rapidement l’intrus : un python molure, espèce asiatique, environ deux mètres dix et douze kilos. « Le serpent n’était pas agressif ; la vraie difficulté, c’était la curiosité des riverains. » On évacue la zone, on déplie un grand conteneur en plastique ventilé, on saisit l’animal par la nuque et la queue : trois minutes plus tard, le python disparaît dans une caisse fermée par des colliers métalliques. Aucune morsure, aucun dégât, juste des photos qui circulent déjà sur les réseaux.
Dans la foulée, la mairie publie un communiqué laconique : « Un serpent de grande taille a été capturé sans danger pour la population. L’animal a été confié à un centre spécialisé. » Derrière la formule se cache un vrai casse-tête administratif : le python est protégé par la CITES, la convention sur le commerce mondial des espèces menacées. Sa détention exige un certificat de capacité et une autorisation préfectorale ; les agents doivent donc vérifier s’il a été déclaré, pucé ou issu d’un trafic. Le parquet de Béthune ouvre une enquête pour « défaut de marquage et détention illégale d’espèce non domestique ».
Une enquête qui remonte à un garage
Très vite, les gendarmes recueillent plusieurs témoignages désignant un pavillon situé à deux rues du lieu de capture. Dans le garage, ils découvrent quatorze terrariums, des étiquettes effacées, un hygromètre hors-service et, surtout, des portes mal verrouillées. Le propriétaire, trentenaire passionné de reptiles, explique qu’il a « oublié » de sécuriser le bac la veille tandis qu’il alimentait ses serpents en rongeurs congelés. Impossible, dit-il, que l’animal présente un danger : « Un python molure n’est pas venimeux, il serre, il ne mord qu’en défense. » Le procureur rappelle néanmoins que ce constricteur peut étouffer une proie de dix kilos ; un enfant, un chien ou un chat n’en pèsent pas beaucoup plus.
NAC : un boom mal encadré
Depuis dix ans, le marché des NAC (nouveaux animaux de compagnie) a explosé en France (Lire Mon premier serpent : lequel choisir en particulier ?); on estime à plus de deux millions le nombre de reptiles détenus chez des particuliers. Le molure, vendeur star des salons terrariophiles, coûte moins cher qu’un smartphone et mesure à peine trente centimètres à la naissance. Au bout de trois ans, il dépasse souvent deux mètres et demande un vivarium de la taille d’une armoire. Beaucoup d’acheteurs sous-estiment la croissance, le coût de l’électricité pour maintenir 28 °C et l’obligation légale de disposer d’un certificat de capacité délivré après formation. Résultat : fuites, abandons ou reventes au noir.
Le centre de sauvegarde « Reptilis » d’Arras, où le python de Beuvry a été transféré, tourne à plein régime ; ses enclos abritent déjà trente-deux serpents confisqués en 2024, soit le double de l’année précédente. « On arrive à saturation, prévient la vétérinaire responsable, Dr Marion Leclerc. Les collectivités pensent qu’on a des places infinies ; non, et chaque grand constricteur saisi nous coûte 800 € par an en nourriture et chauffage ».
Risques sanitaires, émotion canine
Si un python ne transmet pas de venin, il peut être porteur de salmonelles, rappelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire. Le chien du voisin, attiré par l’odeur, lèche le bitume après le passage du serpent : la contamination reste faible mais possible. Dans l’immédiat, le comité de quartier de Beuvry distribue des dépliants intitulés « Serpents exotiques : reconnaître, réagir, signaler ». Une seule liste à puces, pour l’essentiel :
• Ne tentez pas de capturer l’animal vous-même ; appelez le 18 ou la police.
• Gardez chiens et chats à distance ; le stress peut déclencher une morsure défensive.
Le Dr Leclerc nuance : « Un serpent qui se promène en pleine journée, c’est qu’il cherche la chaleur ou une cachette ; il ne chasse pas l’humain. » Reste que la peur est bien réelle. « Je vais surveiller mes enfants tout l’été », confie Carole, mère de deux petits garçons qui jouent d’habitude en trottinette dans la rue.
Un serpent, et après ?
Le propriétaire du python risque jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende pour non-déclaration d’espèce protégée. L’affaire relance un débat récurrent : faut-il interdire la vente de grands reptiles au grand public ? Les associations d’éleveurs répondent qu’une interdiction pousserait le commerce vers le marché noir. Les défenseurs des animaux réclament au minimum un permis de détention avec contrôle annuel.
La députée locale, Marie-Élodie Klein, annonce qu’elle déposera à la rentrée un amendement au projet de loi « Bien-être animal » afin d’imposer un registre national des NAC, accessible aux vétérinaires, forces de l’ordre et assureurs. « Quand un drame arrivera, on dira que la loi était insuffisante, autant la renforcer tout de suite. »
Des voisins partagés entre fascination et colère
Malgré la frayeur, beaucoup avouent une pointe de curiosité. « On n’a pas tous les jours un python devant sa porte », sourit Alain, 62 ans, qui a filmé la scène avec son téléphone. Les images totalisent déjà 40 000 vues sur un groupe Facebook local. D’autres sont furieux : « Et si ça avait été un bambin ? » tonne Valérie, grand-mère et membre d’un collectif de riverains. Elle prévoit de demander à la mairie un arrêté interdisant la détention de serpents de plus d’1,50 m sur le territoire communal.
Le maire, François Guilbert, promet de prendre un arrêté de sécurité publique visant « les cages non conformes, quel que soit l’animal » ; il propose aussi d’organiser une séance d’information gratuite avec le centre Reptilis.
Une frayeur de plus dans la chronique de la biodiversité urbaine
Au final, la capture du python de Beuvry se solde par un soulagement général, mais elle révèle l’inadéquation entre l’engouement pour les NAC exotiques et l’encadrement légal. Entre le rêve d’adopter un serpent « inoffensif » et la réalité d’un géant qui s’aventure dehors, il y a un fossé, que seule une information rigoureuse et un contrôle renforcé peuvent combler. Pour l’instant, le python rejoint un terrarium sécurisé ; le propriétaire, lui, rejoint la longue liste des particuliers qui découvrent, parfois trop tard, qu’un animal sauvage ne se réduit jamais à un simple animal de compagnie.