Depuis juin 2024, plusieurs foyers de dermatose nodulaire contagieuse (DNC) ont été confirmés dans le sud-ouest de la France, principalement en Pyrénées-Atlantiques et en Hautes-Pyrénées.
Face à cette maladie virale affectant les bovins, le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a appliqué la stratégie prévue dans le cadre du plan national d’urgence sanitaire : abattage total des troupeaux contaminés, y compris des animaux asymptomatiques.
Cette politique fait l’objet d’un débat croissant au sein du monde agricole.
Rappel scientifique et cadre réglementaire
La dermatose nodulaire contagieuse est une maladie virale animale causée par un capripoxvirus. Elle touche principalement les bovins, provoquant des lésions cutanées, de la fièvre et parfois des complications secondaires.
Elle n’est ni transmissible à l’homme, ni systématiquement mortelle, mais son fort pouvoir de contagion justifie son classement par l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale) comme maladie à déclaration obligatoire.
Vous souvenez-vous de l’affaire de la langue bleue : l’élevage européen en alerte face à cette maladie dévastatrice.
Selon la fiche technique de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), l’abattage total des troupeaux touchés est prévu par les directives européennes (notamment le Règlement UE 2016/429) dans certains contextes pour éviter une propagation rapide, en l’absence de couverture vaccinale généralisée.
- La DNC n’est pas transmissible à l’homme : malgré ce fait majeur, la méthode reste la plus radicale possible.
- De nombreuses familles d’éleveurs vivent cette perspective d’abattage total comme un drame humain, affectant non seulement la viabilité économique de leur exploitation mais aussi leur vie personnelle et leur équilibre psychologique.
- Jusqu’à présent, aucune preuve scientifique solide n’atteste de l’efficacité du recours massif à l’euthanasie de tous les animaux pour stopper la propagation de la DNC à ce stade de la crise.
- Les épisodes de DNC en Europe, notamment entre 2015 et 2018, ont montré que des alternatives à l’abattage total étaient possibles et parfois plus efficaces, fondées sur l’isolement, la vaccination et la surveillance accrue des cheptels.
- Les syndicats paysans pointent une gestion administrative trop centralisée, excluant les professionnels du terrain et leur connaissance fine des réalités d’élevage, générant une méfiance croissante à l’égard des décisions gouvernementales.
Position officielle des éleveurs et gestion de crise
Le Comité national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV), réuni le 16 juillet 2025, a confirmé le maintien de l’approche de « stamping out » (abattage sanitaire) dans les zones infectées, conformément aux recommandations de l’Union européenne et aux protocoles de lutte utilisés lors des précédentes épidémies en Grèce, Bulgarie ou Italie.
Le ministère indique que cette mesure vise à protéger les filières agricoles non touchées, et à garantir le maintien des exportations françaises, en conformité avec les exigences sanitaires internationales.
Les syndicats paysans dénoncent le manque d’écoute et de respect des savoirs d’expérience : pour eux, la base n’est pas consultée, ce qui alimente amertume et fatalisme.
- Ils défendent une politique sanitaire fondée sur la connaissance fine du terrain, la souplesse et l’adaptation aux situations spécifiques de chaque exploitation.
- La détresse morale, psychique et financière qui découle de décisions jugées injustes pousse de plus en plus d’éleveuses et d’éleveurs à se mobiliser collectivement.
- Le plaidoyer porte sur la nécessité d’humanité, de dialogue et de solidarité. Les syndicats paysans affirment accompagner tous les professionnels qui refusent l’abattage total au premier cas confirmé.
L’attachement au troupeau dépasse souvent la seule logique économique. Certaines histoires illustrent à quel point les bovins peuvent incarner un patrimoine vivant profondément enraciné dans un territoire, comme l’a démontré l’incroyable histoire de vaches abandonnées sur une île pendant 130 ans.
Tableau comparatif des conséquences entre abattage total et gestion ciblée
Abattage total | Gestion ciblée |
---|---|
|
|
Interrogations sur l’efficacité et l’impact humain
Plusieurs collectifs agricoles, dont la Confédération paysanne, remettent en question l’efficacité et la proportionnalité de l’abattage systématique, notamment dans les foyers où les cas sont isolés ou modérés. Dans un communiqué daté du 18 juillet 2025, le syndicat évoque le « traumatisme humain et économique » engendré, tout en appelant à une adaptation des stratégies sanitaires en fonction des situations locales.
Aucune étude n’a, à ce jour, démontré de supériorité systématique de l’abattage total par rapport à des protocoles combinant vaccination ciblée, isolement et surveillance renforcée. En Bulgarie et en Turquie, des campagnes de vaccination ont permis d’endiguer des foyers de DNC en 2016-2018 sans recourir à l’abattage intégral, selon un rapport de la FAO (2020).
Les décisions sanitaires autour des troupeaux ne peuvent faire abstraction des comportements imprévisibles ou parfois dangereux de certains animaux, comme l’a récemment montré l’alerte rouge déclenchée au Royaume-Uni après des attaques mortelles impliquant des vaches.
Des solutions concrètes existent : repenser la politique sanitaire animale
Faisant valoir l’exemple d’autres maladies animales, les porte-parole du monde paysan rappellent que des options pragmatiques permettent d’éviter l’abattage massif et ses conséquences désastreuses. La gestion de la tuberculose bovine, avec la mise en place d’alternatives à l’euthanasie totale, sert de référence inspirante. La recherche sur les maladies animales doit être intensifiée, pour offrir des outils d’action variés et adaptés aux différents contextes d’exploitation.
- Encouragement au développement et à l’utilisation de vaccins efficaces contre la DNC
- Proposition de modalités d’isolement, de surveillance sanitaire renforcée et de suivi individualisé des animaux
- Demande d’indemnisations réelles pour chaque élevage impacté, afin de limiter la casse économique
- Soutien à l’accélération des travaux scientifiques sur l’immunité du cheptel et la résilience des exploitations
- Dénonciation de l’inaction face à d’autres maladies et appel large à intégrer les acteurs locaux dans la construction de la réponse sanitaire
Une note technique publiée par la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire (GDS France) en juillet 2025 souligne l’importance de l’adaptabilité des réponses sanitaires selon les densités d’élevage, la circulation virale observée, et la typologie des exploitations.
Au-delà des réponses immédiates à la crise sanitaire, des innovations prometteuses émergent pour rendre l’élevage bovin plus durable, à l’image de ces algues marines qui réduisent les émissions de méthane et pourraient transformer en profondeur la filière.
Le maillage territorial au service des éleveurs
Le tissu syndical paysan dispose de relais dans chaque département, prêts à informer, accompagner et défendre activement les éleveurs confrontés aux difficultés liées à la DNC ou à d’autres crises sanitaires. Le réseau s’emploie à :
- Proposer systématiquement des alternatives pragmatiques à l’abattage systématique
- Offrir aux familles un soutien humain, administratif et juridique
- Favoriser l’entraide paysanne et la solidarité sur toute la chaîne de production
- Militer pour un changement de regard sur le vivant, la santé animale et le rôle fondamental des éleveurs
Cadre européen et jurisprudences comparées
En Espagne, les autorités régionales ont privilégié une approche différenciée lors des foyers de DNC en Andalousie en 2022 : seuls les animaux cliniquement atteints ont été euthanasiés, les autres ayant fait l’objet d’un suivi sanitaire strict. Cette stratégie a été documentée dans une publication du ministère espagnol de l’Agriculture (Informe SDS-22-117), qui conclut à une efficacité comparable avec un coût social réduit.
Mobilisation collective : reconstruire une politique agricole plus juste et humaine
Au-delà des enjeux sanitaires, les conséquences humaines et territoriales suscitent l’inquiétude. Le syndicat Modef, dans sa lettre ouverte du 20 juillet 2025, évoque « l’épuisement moral de familles rurales confrontées à des décisions administratives irréversibles ». Plusieurs mairies rurales ont adopté des motions pour demander la suspension temporaire de l’abattage automatique, en attendant les résultats des enquêtes épidémiologiques.
- Actions de plaidoyer et remontées de terrain régulières auprès des décideurs publics
- Lutte pour la revalorisation du métier d’éleveur et la reconnaissance de sa contribution à la société
- Veille continue sur les indemnisations et l’équité d’accès aux dispositifs de soutien
- Promotion de valeurs fortes : solidarité, dialogue, adaptation, transmission de patrimoines vivants
- Invitation large à rejoindre la mobilisation et à soutenir une agriculture plus résiliente et respectueuse
Ce lien étroit entre les éleveurs et leurs animaux donne parfois lieu à des moments exceptionnels, improbables et profondément émouvants, comme ce miracle survenu dans une ferme galloise, dont la probabilité était d’une sur 11 millions.
Perspectives scientifiques et leviers d’action
Des pistes sont à l’étude pour renforcer la résilience du cheptel français face à la DNC :
-
Tests de dépistage plus sensibles pour identifier les cas réels, avec le soutien de l’Anses
-
Développement d’un vaccin national contre la DNC, via les laboratoires publics et partenaires privés
-
Recherche en immunogénétique pour comprendre la réponse des bovins et sélectionner des lignées plus résistantes
-
Dialogue tripartite État–scientifiques–professionnels pour ajuster les protocoles selon les données de terrain
Un avenir à reconstruire collectivement
L’affaire de la DNC secoue bien plus que la filière bovine : elle révèle l’urgence de repenser nos réponses collectives aux crises sanitaires. Loin d’être résignée, la paysannerie démontre, à travers ses luttes et ses propositions, sa capacité à inventer des solutions, à fédérer et à militer pour une agriculture digne, durable et porteuse d’espoir.
Le traitement des foyers de dermatose nodulaire contagieuse en France s’inscrit dans un cadre réglementaire strict, mais les divergences d’approche reflètent un besoin d’équilibre entre efficacité sanitaire et soutenabilité sociale.
Alors que les décisions évoluent dans un contexte d’urgence, la transparence des données, l’intégration des retours de terrain et l’investissement dans la recherche apparaissent comme les clés d’une gestion mieux acceptée, à court et à long terme.
Références utilisées :
-
Anses, fiche DNC, 2024
-
FAO, rapport de mission sur la DNC en Europe, 2020
-
GDS France, note technique DNC, juillet 2025
-
Ministère espagnol de l’Agriculture, rapport SDS-22-117
-
CNOPSAV, compte rendu du 16 juillet 2025 (source interne, à confirmer)
-
Communiqués Confédération paysanne, Modef, FNSEA, juillet 2025